2 juillet 2013

Faire de la précarité énergétique la boussole de la transition énergétique.

Plusieurs millions de ménages se trouvent aujourd'hui en situation de précarité énergétique. Derrière ce qualificatif technocratique se cache des situations de souffrance et d'exclusion qui risque demain de devenir une catastrophe sociale de grande ampleur. Trois facteurs sont générateurs de précarité énergétique :


  • la mauvaise isolation d'une grande partie du parc de logements, véritable passoire thermique.
  • la baisse voire la perte de revenu.
  • une augmentation inéluctable du prix de l'énergie. 

La convergence de ces trois facteurs fait basculer de nombreux ménages pour des raisons chaque fois différentes. On découvre alors qu'il n'y a pas un profil de précaire énergétique mais une multitude de situations. On connait aujourd’hui l'action des collectifs de mal logés, on verra demain émerger des collectifs de mal chauffés.
Face à cette situation, nos politiques publiques classiques apparaissent souvent peu adaptées. Car pour être efficace, il s'agit de traiter le problème sous ses différents aspects et de manière cordonnée : d'abord repérer la situation de précarité, puis ensuite selon sa nature intervenir sur le bâti pour en améliorer les capacités thermiques, solvabiliser lorsque l'énergie est synonyme d'impayé et intervenir sur l’usage pour réduire la consommation.
Toute intervention sur une situation de précarité énergétique nécessite le déploiement d'actions transversales, combinant logement, action sociale et énergie. Et c'est là qu'intervient une des premières difficultés : nos politiques sont extrêmement cloisonnées.

L'exemple de l'Agence Parisienne du Climat

A Paris, c'est l'Agence Parisienne du Climat signataire du  Contrat Local d'Engagement précarité énergétique en porte le volet opérationnel et développe son action en deux axes complémentaires.
Un dispositif de visite à domicile a été mis en place à la fois sur les volets bâti et social. L'objectif est d'établir un diagnostic global de l'état thermique du logement, de la situation sociale des occupants et donner des conseils pratiques  en termes de travaux, de mobilisation des aides existantes et de suivi des consommations des occupants. L'agence parisienne a réalisé plus de 250 visites depuis un an. Mais ce travail de qualité doit pouvoir toucher à terme les 54000 précaires énergétiques comptabilisés à Paris.
C'est pourquoi le second volet de l’action de l'APC vise à créer des effets de leviers cette démarche en formant l'ensemble des personnes, travailleurs sociaux, bailleurs, associations en contact avec ces populations.

Des blocages de nature différente et complexe

Ce dispositif rencontre des problèmes de nature différente et complexe et permet de mettre en lumière les principaux freins.
Premièrement, l'action de l'Agence Parisienne du Climat devrait pouvoir disposer de moyens supplémentaires pour réduire le gap entre 250 visites et suivis possibles par an et la cible de 54000 personnes en situations de précarité énergétique à Paris.

Ensuite la nécessité de mieux coordonner tous ces acteurs apparait encore une fois comme primordiale. Travailleurs sociaux, fournisseurs d'énergie, Caisse d'Allocation Familiales, ANAH, agence du climat, Point information énergie, élus : des signalements, où chacun fonctionne avec sa fiche spécifique pas toujours informatisée, jusqu’au suivi des dossiers, où il n'existe pas encore de protocole commun. Face à cela, il est urgent d'uniformiser les modes de traitements des situations et de faciliter ainsi le repérage des ménages et le suivi dans le temps.
Quant à la question des propriétaires, la coordination est également difficile. Une personne sur deux repérée dans ces visites habite dans un immeuble détenu par un bailleur social. De ce côté, seule une évolution radicale de l'ensemble des bailleurs alliant plan de rénovation thermique du parc et dispositifs spécifiques pour les ménages touchés s'avérera opérant.
Hors parc social, la majorité des précaires énergétiques est locataire d'une copropriété de petits bailleurs privés. Soit les propriétaires bailleurs sont dans une simple logique d'investissement sans volonté de valoriser leur biens, soit ils n'ont pas les moyens financiers de se lancer dans des travaux. Dans les différentes Opération Programmée d'Amélioration Thermique de l'Habitat lancées dans Paris, on remarque un seuil par lot de copropriété de 8000 euros au-dessus duquel les travaux sont refusés. Ce seuil pose un vrai problème car il ne permet pas de pouvoir réaliser des travaux "lourds" comme une isolation par l'extérieur. Ajoutez à cela l'inertie d'une copropriété, la présence d'un syndic de gestion pas toujours volontaire et vous concentrez tous les paramètres pour qu'il ne se passe rien.


Repérer, solvabiliser, isoler.

Pour lutter efficacement contre la précarité énergétique un plan national de mobilisation de tous les acteurs, permettant de mettre en place des actions coordonnées et transversales s'impose. Il devra se décliner localement afin de pouvoir organiser le repérage, puis l'isolation thermique, la solvabilisation et l'éducation au bon usage de l'énergie.
Concernant le repérage des foyers en situation de précarité énergétique, il est important  d'uniformiser les modes de traitement des différents acteurs du sujet. Une plateforme commune au niveau de chaque territoire semble être la solution la plus adaptée.

Pour solvabiliser des ménages confrontés à des difficultés de paiement de leur énergie, une réévaluation des charges énergétiques dans le paiement des APL est nécessaire pour une meilleure prise en compte.
Une autre piste : les certificats d'économie d'énergie issus de travaux réalisés chez des précaires énergétiques pourrait être valorisés et alimenter un fonds d'intervention. Mais régler les impayés des débiteurs ne règlent pas leur situation. Seule une consommation réduite soit par l'intervention sur le bâti, soit par l'évolution des usages s'avère efficace.


Pour un plan 1000 immeubles à Paris

Intervenir sur le bâti est chose relativement simple dans la situation de propriétaires occupants ou de locataires d'une maison. Le programme "Habiter mieux" de l'ANAH se trouve parfaitement adaptés à ce type de situation. Beaucoup moins aux copropriétés pour les raisons développées ci-dessus. Or, sans la prise en compte des copropriétés, non seulement de nombreux précaires énergétiques vont s'enfoncer dans les impayés et de plus, on ne pourra atteindre les -25% de CO2 en 2030, objectif du plan climat parisien.
Les opérations programmée d'amélioration thermique des bâtiments (OPATB, OPA2D2E) lancées dans Paris obtiennent des résultats encourageant, mais le nombre des réalisations est encore très loin des objectifs à atteindre. C'est pourquoi à côté des interventions diffuses, je pense qu'il serait important de cibler les bâtiments les plus énergivores. Pourquoi? Parce que les passoires thermiques concentrent les populations de précaires énergétiques et qu'il s'agit des bâtiments où la réalisation de travaux entraînera la plus importante baisse des émissions de GES et enfin que ces immeubles comportent souvent des facteurs d'insalubrité qui nécessitent une intervention préventive. L'idée serait alors d'établir une liste de 1000 immeubles à traiter par le recoupement de trois critères :
  • La qualité thermique des bâtiments grâce à l'élaboration de la carte thermographique  par la ville de Paris
  • Les impayés d'énergie en disposant du fichier du Fonds de Solidarité Logement Energie
  • Les signalements d'insalubrité ou de prévention de l'insalubrité

Sur la base de cette liste, une Opération Programmée d'Amélioration de l'Habitat avec le double objectif de la rénovation thermique et le traitement de l'insalubrité ciblée sur ces 1000 immeubles pourrait être mise en place.
La précarité énergétique boussole du plan de rénovation thermique

Pour justifier le paiement de subvention publique à des propriétaires bailleurs qui n'en n'aurait pas réellement besoin, on pourrait imaginer une importante majoration de la subvention en cas de conventionnement du logement à loyers maîtrisés. Nous permettrions ainsi par la convergence des politiques de lutte contre la précarité énergétique, de rénovation thermique, de traitements de l'insalubrité et de maîtrise des loyers d'aborder de façon globale la transition énergétique en répondant aux enjeux de la crise du logement.

J'en suis persuadé, la précarité énergétique doit être la boussole du grand plan de rénovation thermique. Car toute transition énergétique à deux vitesses, qui laisserait de côté les plus faibles serait vouée à l'échec. Les problématiques sociales et environnementales sont absolument indissociables.

Des solutions à mettre en place à court terme

Mais il est nécessaire de trouver des solutions à court terme, sans attendre une rénovation globale pour venir en aide aux précaires énergétiques. Les fonds sociaux d'aide aux travaux d'économie d'énergie (FSATEM) offre cette possibilité. Ils permettent de financer de petits travaux, éventuellement réalisés par le locataire lui-même, pour améliorer rapidement la situation : isolation thermique, calfeutrage ou remplacement de fenêtres, thermostat d’ambiance programmable, lampes à basse consommation, réparation des fuites d’eau sont autant d'améliorations qui peuvent être réalisées grâce à leur mobilisation. Le renforcement des FSATEM  et leur déploiement sur tout le territoire représenteraient un outil simple et concret.

Enfin, la précarité énergétique doit être intégrée aux critères de décence d'un logement et devenir un critère du permis de louer si celui-ci devait être mis en place.

Mais les efforts pour solvabiliser les ménages et intervenir sur le bâti peuvent être totalement annihilé par un mauvais usage du logement. Obstruction des aérations, température ambiante à plus de 19 degré, maintien du chauffage à forte puissance en cas d'absence, autant de comportements sur lesquels on peut intervenir pour faire baisser la facture. C'est un travail réalisé au quotidien par les visites à domiciles de l'Agence Parisienne du Climat dont on peut tirer un retour d'expérience. On constate qu'intervenir sur l'usage prends du temps et demande l'intervention de professionnels. Il faudra faire très attention lors du déploiement des ambassadeurs, dispositif récemment créé, à leur assurer un bon niveau de formation

Un sujet emblématique des solutions que doit pouvoir apporter l'écologie

La précarité énergétique est un sujet complexe aux conséquences humaines et sociales dramatiques. Elle doit devenir une priorité nationale et disposer d'un plan d'action renforcée. Mais elle est aussi un indicateur qui nous révèle l'existence d'une population de plus en plus en difficulté économique, ainsi que l'enjeu représenté par l'énergie aujourd'hui. Elle ne pourra être efficacement traitée qu'en déployant une approche globale, sociale et environnementale. Un sujet emblématique des solutions que doit pouvoir apporter l'écologie.

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